Extrait
Extrait de la nouvelle L'attrape-rêves

J’ai toujours été incapable de calquer mon souffle sur celui des autres.
Ils me donnent l’impression qu’ils suffoquent, qu’ils dorment essoufflés. En réalité, ma respiration est lente et profonde. Je suffoque moi-même quand je respire à leur rythme.
Inspire. Expire.
Comme si je vivais dans un plan différent du monde, au tempo de mes battements silencieux. Mes nuits d’enfance étaient faites de ces souffles trop rapides. Les yeux grands ouverts dans le noir, je voyais les murs de la chambre onduler en même temps que ma sœur respirait. Trop vite, bien trop vite.
J’entends, ici, une présence. Un souffle plus lent que le mien. Plus étouffé encore.
— Ne t’arrête pas de respirer, me dit une voix chevrotante. Ne t’arrête pas de respirer.
Une cadence trop régulière et mécanique. Une voix ancienne, tremblante. Celle au bord du gouffre, à un pas de lâcher la rampe. J’ai la vision de mains parcheminées posées sur une poitrine. Je vois, presque, une conscience trop faible pour parvenir à s’ancrer dans ce corps si vieux. Le souffle s’arrête d’un coup dans le respirateur que l'on vient de débrancher. Mais le murmure, lui, résonne encore.
Ne t’arrête pas de respirer.
J’ouvre les yeux sur le plafond gris de ma chambre, me dégage des griffes de ce rêve. Je distingue à peine les ombres accrochées aux murs, et mon esprit garde l’écho de cet avertissement, comme une menace à peine voilée. Une fois mon cœur apaisé, je me redresse avec un soupir. Les attrape-rêves épinglés derrière moi oscillent doucement. Comme pris dans le souffle d’une créature invisible. Mais il n’y a personne à part moi dans la pièce.